La terre aussi peut mener le Bénin à l'émergence

Publié le par BOGNIAHO

Depuis quelque temps, une intense croisade contre le sous-développement s’est levée dans le Bénin. Orchestrée par l’actuel Premier des Béninois, elle tutoie avec véhémence la Coopération internationale, interpelle  et titille la pauvreté afin de la sortir de son antre et la vaincre, flatte et cajole l’éducation  pour lui pendre des cadres de valeur, lorgne la santé des plus vulnérables d’entre nous, effleure l’agriculture de la pointe de ses lances et, enfin, pour en rester là, interroge le sous-sol pour lui arracher des trésors enfouis. En quelques mots, la croisade tentaculaire a investi et contaminé tous les fronts susceptibles de développer le pays. Et il flotte dans l’air ambiant de notre pays un vent de changement aux filets inégaux et fluctuants, par endroits flous, à peine caractérisables en dehors du poncif du changement, par ailleurs vigoureux tels les souffles violents d’une bourrasque. Aucun citoyen, à moins d’être un aigri rétrograde et insatisfait, ne peut nier le déploiement de ces activités et s’y opposer réellement.  

Cependant, si nous n’y prenons garde, le changement s’essoufflera rapidement comme un éolien évanescent, il s’éculera, usé par des actions en flots, inachevées parce que peu ou mal pensées, et par la parole circonstancielle et normée dans des clichés de la langue de bois, et cela pour être à la vogue ou de mode. Le Béninois aime, sans conteste, la mode, car il est opportuniste, individualiste, pensant beaucoup plus à lui-même qu’aux autres. Il change rapidement sa veste, mais toujours « du bon côté » pour utiliser le mot d’un chanteur français. En témoigne le vocabulaire des discours des adeptes accrocs du changement. Quatre mots en font invariablement la richesse ; ce sont : «  changement, émergence, changeant et émergent ». Ils sont si bien accoutrés dans la communication comme dans une invocation au nouveau dieu ‘’Emergence’’ qui ne cesse de faire des adeptes. Et les occasions sont légions pour draîner des foules vers lui : les fêtes de remerciements des élus à l’intention de leurs  électeurs, les assises des partis politiques, les marches contre ceci ou cela, les célébrations solennelles d’enterrement, de mariage et que sais-je encore ?

Si l’émergence est, dans une moindre mesure, synonyme de développement ou de son amorce, un pays ne peut connaître une croissance de quelque sorte qu’en comptant sur la volonté engagée de son capital humain et de son intelligentsia. En imaginant un pays nanti de toutes les ressources du sous-sol, il faut aussi imaginer que son développement serait impossible s’il ne peut compter sur ce capital humain. Vous suivez certainement mon regard vers des pays africains scandales géologiques croupissant dans la misère crasse et la guerre intestine.

Ce capital humain dans le cas de notre pays est principalement la masse laborieuse des campagnes. Elle avoisine les 80% de la population de ce pays et travaille rudement et essentiellement dans le secteur agricole. Si on ne lui accorde pas une attention particulière, l’émergence ne sera qu’un vain mot, un regrettable donquichottisme.

A la vérité, l’agriculture sera, qu’on le veuille ou non, le moteur de notre développement et ne pas s’en convaincre afin de  prendre sa modernisation et son extension à bras le corps, ressemble, à mon humble avis, à de l’aventurisme. Certes, les lettrés de l’administration générale œuvrent depuis des lustres pour la croissance de notre pays, car il faut un peu de tout pour faire un monde. Mais il faut à ce pays, fondamentalement de fiscalité et arrimé à la Coopération internationale, une valeur marchande : la terre peut et doit mener notre pays à l’émergence tant rêvé.

C’est pourquoi, comme l’ont suggéré les deux professeurs de la Faculté des Sciences Agronomiques (FSA) sur une des émissions ‘’Ma part de vérité’’ de Golf Télévision, il urge pour ce pays de déterminer des pôles d’agriculture. Ici, c’est le coton, là, l’anacarde, là-bas, le manioc, plus loin, un autre produit. Tout le Bénin ne peut être couvert de cultures de rente comme il n’en faut pas qu’une seule. Une agriculture organisée et couplée avec l’élevage est à même de porter le pays vers l’avant parce que si le plus grand nombre peut manger à sa faim après avoir acquis des devises provenant des exportations, il peut scolariser ses enfants, se soigner convenablement et se loger décemment ; ainsi le sous-développement reculera pour faire place à une émergence progressive. J’ai observé nos nouvelles habitudes alimentaires dans nos grandes métropoles. Nous mangeons de la banane plantain frite appelée aloco chez les Ivoiriens, nous mangeons l’atchiéké des Ivoiriens toujours. Savez-vous que cette banane vient en grande partie du Ghana ? L’atchiéké, de sa terre natale ?  On ne s’explique pas que le Nigéria nous fournisse en œufs et que nous continuions à importer des poissons surgelés, des croupions de je ne sais quel volatile et des poulets communément appelés ‘’poulets-morgues ou cadavres’’. Nous pouvons produire tout cela sur place, pour peu que nous le demandions à notre terre. Elle nous le donnera par la valeur-travail.  Elle est en grande partie notre planche de salut.

Mais de quelle agriculture s’agit-il ? Cette agriculture-là se décline en des exploitations de grandes tailles sur de grandes étendues. Les rizières du Tonkin, de Malaisie, de Chine n’occupent pas quelques arpents de terre, encore moins le blé européen ou américain. Ils s’étendent sur des exploitations à perte de vue. Des objecteurs se demandent déjà où trouver ces terres. Eh bien !  Il y en a.

Dans la partie septentrionale du pays s’étalent des superficies en friche où la main de l’homme passe à peine. C’est au sud que la question se pose avec acuité. Il y a lieu d’observer deux cas. Le régime foncier traditionnel donne toutes les terres aux premiers occupants, crée ainsi de gros propriétaires terriens à côté de groupes sociaux dépourvus. D’autre part, le patrilignage a instauré une distribution des terres entre les enfants mâles et leurs petits enfants. Il s’en est suivi un morcellement désastreux des terres. Un enfant hérite de son père un hectare ; s’il fait cinq fils, l’hectare sera divisé en cinq parts et ainsi de suite. La terre est donc lépreuse de propriétaires et son travail ne rapporte rien à personne, ni audit propriétaire, ni au pays, sinon la misère.

La nécessité de création de grandes exploitations appelle à une réforme agraire. Beaucoup de pays dans le monde en sont passés par là. Il ne s’agit pas de déposséder ou de spolier, ni de brandir par terrorisme un quelconque argument d’utilité publique pour flouer les propriétaires, à moins de vouloir embraser le pays, mais il s’agit de recenser les terres et leurs propriétaires par une reconnaissance réelle de leur droit.

Au terme de cette démarche, on pourra aisément mettre en commun les surfaces pour constituer de grandes exploitations. La structure ne sera certainement pas celle des fermes d’Etat d’antan, qui ont périclité par le fonctionnarisme ; ce ne seront pas non plus des colonies de peuplement ou de développement qui tansplantent des populations allogènes sur des terres prises à des groupes sociaux autochtones. Et tandis que ceux-ci errent à la recherche de lopins de terre à exploiter pour leur subsistance, des étrangers exploitent leur terre à leur profit. En procédant de la sorte, on aura oublié que toute société est constituée de communautés aux identités distinctes et dont les membres sont liés par le politico-religieux. La communauté perçoit parfaitement l’altérité d’autrui, la comprend mais n’y entre pas. Toute frustration extérieure engendre un repli identitaire et l’agressivité, source d’échec de l’entreprise spoliatrice. L’échec de la riziculture dans la vallée de l’Ouémé, celui de la palmeraie industrielle ici et là et celui des 3S y trouvent en partie leur fondement. La violence faite aux agents pétroliers dans le delta du Niger au Nigéria corrobore davantage mon propos.  

En fait, les exploitations auxquelles je pense fortement seront des coopératives adossées à un réaliste organigramme endogène, à la nécessaire et incontournable mécanisation et à l’assistance épisodique des experts agricoles et d’élevage chevronnés et aguerris. Il reviendra à l’Etat d’organiser les différents circuits de collecte, de pourvoir au stockage et à la conservation, de manager la transformation et l’exportation. On m’accusera de dirigiste économique. J’ai la conviction que l’Etat doit être le premier pédagogue dans ce domaine avant de laisser éclore les initiatives privées.

Nombreux seront évidemment les acteurs impliqués par le système préconisé. Il faudra    des sociologues, des topographes, des agronomes, des économistes, des assistants en élevage, des ingénieurs mécaniques, des communicateurs et beaucoup d’autres encore. Il est clair que la formation à ces métiers urge et pourra se faire surtout dans le cadre du système Licence-Master-Doctorat à mettre en place.

Mais la formation au métier d’exploitant-coopérateur agricole est également nécessaire. Devant être commencée sur le tas et le tard pour l’instant, elle se raffermira  dans les rouages de l’alphabétisation qui en constituera une formidable adjuvante. Elle devra tendre à rendre les paysans combattifs et accrochés à la trilogie formation-protection- rémunération. Car un paysan-exploitant formé doit pouvoir trouver les moyens de protéger sa production et sa corporation par une rémunération subséquente. Nos paysans devront très vite devenir modernes sinon la mondialisation qui les avait déjà frappés dans les produits de rente les fera disparaître. Mais quelle alphabétisation fera pour ce travail de sauvetage? C’est là le hic.

En définitive, le capital humain est incontournable dans la tension de notre pays vers l’émergence. Il faut donc repenser plus profondément notre développement et nous persuader que le coton, l’anacarde, le pétrole à venir peut-être, la fiscalité et les aides extérieures ne peuvent suffire à nous faire émerger, qu’il nous faut convoquer davantage la terre, notre terre, notre richesse à ce tournant de l’existence de notre pays, car il nous faut nous développer aujourd’hui ou périr.

 

 Cet article a été publié au Bénin depuis l'an dernier dans les colonnes du quotidien La Nation

 

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